9 octobre 2009

La grande récré

Un an après et toujours au Café de la danse, on peut mesurer le chemin parcouru par Coming Soon. Qu'on pourrait symboliser par l'invité emblématique de la soirée : Etienne Daho, qui fait plus chic quand même que Stanley Brinks ou Freschard. C'est que la bande de Kidderminster a désormais ses entrées dans le grand monde : cooptée par le bon Etienne, donc, homme de goût, mais aussi par Mathias Malzieu et Olivia Ruiz, et même Indochine, ce qui peut foutre un peu la trouille. Et commence à susciter quelques jalousies.

Coming Soon - School Trip Bus Crash - Café de la Danse, Paris - 08/10/2009 from Soul Kitchen on Vimeo.

Des considérations oubliées au bout d'environ trois secondes et demi. Car ce que l'on remarque avant tout, c'est que Coming Soon a gardé ses toutes ses qualités scéniques - fraîcheur, sentiment communicatif de s'amuser – tout en progressant. A l'image du songwriting varié et de très haute volée de Ghost Train Tragedy, le deuxième album, qui fournit l'ossature de ces 100 minutes qui passent très vite. Ou du jeu de guitare très incisif d'Alex Banjo.

Coming Soon - Walking (- Café de la danse - 08/10/09 from Soul Kitchen on Vimeo.

Chacun chante tour à tour, avec son caractère, et plein d'instants forts se gravent instantanément en mémoire : l'entrée sur scène avec Howard Hughes, le grand escogriffe au Stetson, bouquin en main, comme un prêcheur du Vieil Ouest avec sa bible ; l'aparté totalement unplugged, sans micro ni ampli, le temps que Leo - mue achevée - quitte son tabouret pour rejoindre, ukulélé en main, Alex en devant de scène pour un "Jack Nicholson Style" enlevé ; la reprise du "Shut Out The Light" de Springsteen a cappella, transformé en folksong imméroriale, tandis que Howard fait le tour de la salle ; le duo sans chichi entre Billy et Etienne sur "Private Tortures" ; ou encore le finale choral emprunté à Wave Pictures, "Sweetheart", pour se quitter en douceur. Mais on aime tout autant les instants de spontanéité rigolarde. Quand Mary Salomé (flûtes, clarinette, xylophone, marimba, claviers), mise en vedette sur le malicieux "Pillow Talk", se retourne vers ses copines choristes d'un jour, que Howard nique une intro en se lançant dans un petit speech, ou que l'éclairagiste oublie de s'exécuter à la fin de "Shut Out The Light"...

Coming Soon - Moonchild - Café de la Danse, Paris - 08/10/2009 from Soul Kitchen on Vimeo.


Si Coming Soon a assurément bossé ses classiques et l'assume crânement (voir la reprise du "No Chance" de Lou Reed, influence majeure), c'est pour se constituer son imaginaire propre. En petits surdoués. Et au Café de la danse, pas question de bachotage, c'est bien l'heure de la récré.

Set-list, Café de la Danse, 08-10-2009
Going Home
Back Seat
Don't Sell Me to the French
Steel Wire
Manners & Education
No Chance (Lou Reed,
Magic & Loss)
School Trip Bus Crash
Moonchild
Jack Nicholson Style
Shut Out The Light (Bruce Springsteen, B-Side du single "Born in the USA")
Walking
WU
Minor Keys
Wild Catch
Lower Lip
Private Tortures (avec Etienne Daho)
Howard's Mood
Pillow Talk

Rappel:
Nowadays
Time Bomb
Music From The Ceiling
Sweetheart


En prime, le clip de "Moonchild"...

8 octobre 2009

Amateur night

J'adore le rock, mais je hais les Musiciens. Je préfère les amateurs. Au sens étymologique. Ceux qui aiment. Et, en la matière, hier, le Trabendo était l'endroit parfait pour moi, quitte à devoir braver les éléments déchaînés.

S'il fallait décerner le titre de plus grands enthousiastes et activistes de la planète en matière de rock'n'roll primitif, Miriam Linna et Billy Miller tiendraient la corde. Miriam, on la connaît depuis plus de trente ans, pour avoir été la première batteuse "sérieuse" des Cramps (Pam Balam, la sœur de Bryan Gregory, n'était là que pour donner un coup de main). Mais elle présidait aussi le fan-club des Flamin' Groovies. Et a lancé le fanzine Kicks avec Billy Miller, en 1978. Avant qu'ils ne fondent ensemble les Zantees, orientés rockab’, qui muteront en A-Bombs. Sans oublier l'excellent label Norton Records, qui a publié ou réédité Link Wray, Hasil Adkins, les Real Kids, Roy Loney, Charlie Feathers, les Flat Duo Jets, King Khan & The BBQ Show ou André Williams. Entre autres. Ce qui s'appelle un catalogue trié sur le volet. Si l'on a envie d'en savoir plus, rien n'interdit de jeter un coup sur Kicksville 66, le blog de Miriam plein de documents précieux sur les scènes de Cleveland et New York dans la seconde moitié des seventies, ou celui de Norton.

Pas virtuoses pour deux ronds, les A-Bones sont quelque chose comme le bar band idéal, dépoussiérant les classiques ("Bad Boy" de Larry Williams ou "Wooly Bully) avec un enthousiasme de débutants. D'ailleurs, Miriam n'a quasiment pris aucune ride. Frange blonde et voix d'éternelle chipie, elle drive la bande en souplesse et en gants noirs - toujours un signe de classe rock'nroll, ça, de Mimi des Dogs aux temps héroïques à Peg de Gories. Devant, Billy joue les bonimenteurs, comme un croisement entre un André le Géant taille 8/10 pour le physique et le regretté Lee Brilleaux pour le gosier, tandis que Lars Espensen éructe dans son sax ténor éructant et que Bruce Bennet se roule par terre, guitare au poing, alors que le bassiste Marcus The Carcass compte les coups. Sans autre prétention que de s'amuser, et c'est plutôt contagieux.

Cool Kleps, le duo garage orgue-percussion/guitare qui leur succède à la volée, sur la petite scène à côté de la table de mixage, c'est un peu la même histoire, côté Frenchy : Jean-Luc "Jostone" Jousse, le guitariste-chanteur, n'est autre que le coorganisateur de la soirée, et il fait tourner à longueur d'année les New Bomb Turks ou Nashville Pussy, tout en étant sonorisateur, tour manager, etc. Maximum respect, merci et à lui, et tout ce qu'il faut savoir ici, courtesy of Dig It, l'incontournable zine garage hexagonal.

Avec T-Model Ford, 89 ans (ou un peu moins, mais pas beaucoup, selon les sources), hanche disloquée, pacemaker, mais la tête près du bonnet, c'est un bout de légende du blues qui pointe le nez, sorti de l'anonymat par la bonne fée Fat Possum. Pas le blues épluche-carottes propre sur lui, non, celui des juke-joints du Sud, où il ne s'agissait que de faire danser toute la nuit, jusqu'à la transe, avant de reprendre le taf le lundi matin. Juste soutenu par un batteur tchac-poum, l'octogénaire enchaîne ses trois accords sans débander, avec d'infimes variations, comme un John Lee Hooker monomaniaque.

Et Heavy Trash, dans tout ça ? Well, par rapport à tous ceux qui les ont précédés, le groupe de Jon Spencer et Matt-Verta Ray ferait presque redoutablement pro. Ce qui ne manque pas d'ironie, si l'on se rappelle des débuts noisy-déconstructivistes de Jon dans Pussy Galore. Considéré initialement comme une récréation pour ses protagonistes, Heavy Trash, devenu leur groupe principal, est devenu bien plus que ça. Surtout pour cette tournée, accompagnant la sortie de son 3e album, Midnight Soul Serenade, durant laquelle le duo est complété par Sam Baker, batteur de Lambchop, et le semi-légendaire contrebassiste (et, dans d'autres circonstances, guitariste) Simon Chardiet. Plus Elvis 56 que jamais avec sa guitare acoustique, Jon Spencer laisse libre cours à ses accents de prêcheur roots, cravaché par la Gibson demi-caisse de Matt. Il y a beau y avoir des hoquets et de la reverb en pagaille, ce rockabilly-là n'a rien de puriste, tout électrocuté qu'il reste par la décharge punk, et n'hésitant pas à puiser dans des harmonies doo-wop, un twang country ou des mélodies câlines flottant entre les sucreries des teenage idols et les premiers hits innocents de ceux qui les balaieront, les Beatles. Soit une parfaite incarnation du rock'n'roll éternel.