8 octobre 2009

Amateur night

J'adore le rock, mais je hais les Musiciens. Je préfère les amateurs. Au sens étymologique. Ceux qui aiment. Et, en la matière, hier, le Trabendo était l'endroit parfait pour moi, quitte à devoir braver les éléments déchaînés.

S'il fallait décerner le titre de plus grands enthousiastes et activistes de la planète en matière de rock'n'roll primitif, Miriam Linna et Billy Miller tiendraient la corde. Miriam, on la connaît depuis plus de trente ans, pour avoir été la première batteuse "sérieuse" des Cramps (Pam Balam, la sœur de Bryan Gregory, n'était là que pour donner un coup de main). Mais elle présidait aussi le fan-club des Flamin' Groovies. Et a lancé le fanzine Kicks avec Billy Miller, en 1978. Avant qu'ils ne fondent ensemble les Zantees, orientés rockab’, qui muteront en A-Bombs. Sans oublier l'excellent label Norton Records, qui a publié ou réédité Link Wray, Hasil Adkins, les Real Kids, Roy Loney, Charlie Feathers, les Flat Duo Jets, King Khan & The BBQ Show ou André Williams. Entre autres. Ce qui s'appelle un catalogue trié sur le volet. Si l'on a envie d'en savoir plus, rien n'interdit de jeter un coup sur Kicksville 66, le blog de Miriam plein de documents précieux sur les scènes de Cleveland et New York dans la seconde moitié des seventies, ou celui de Norton.

Pas virtuoses pour deux ronds, les A-Bones sont quelque chose comme le bar band idéal, dépoussiérant les classiques ("Bad Boy" de Larry Williams ou "Wooly Bully) avec un enthousiasme de débutants. D'ailleurs, Miriam n'a quasiment pris aucune ride. Frange blonde et voix d'éternelle chipie, elle drive la bande en souplesse et en gants noirs - toujours un signe de classe rock'nroll, ça, de Mimi des Dogs aux temps héroïques à Peg de Gories. Devant, Billy joue les bonimenteurs, comme un croisement entre un André le Géant taille 8/10 pour le physique et le regretté Lee Brilleaux pour le gosier, tandis que Lars Espensen éructe dans son sax ténor éructant et que Bruce Bennet se roule par terre, guitare au poing, alors que le bassiste Marcus The Carcass compte les coups. Sans autre prétention que de s'amuser, et c'est plutôt contagieux.

Cool Kleps, le duo garage orgue-percussion/guitare qui leur succède à la volée, sur la petite scène à côté de la table de mixage, c'est un peu la même histoire, côté Frenchy : Jean-Luc "Jostone" Jousse, le guitariste-chanteur, n'est autre que le coorganisateur de la soirée, et il fait tourner à longueur d'année les New Bomb Turks ou Nashville Pussy, tout en étant sonorisateur, tour manager, etc. Maximum respect, merci et à lui, et tout ce qu'il faut savoir ici, courtesy of Dig It, l'incontournable zine garage hexagonal.

Avec T-Model Ford, 89 ans (ou un peu moins, mais pas beaucoup, selon les sources), hanche disloquée, pacemaker, mais la tête près du bonnet, c'est un bout de légende du blues qui pointe le nez, sorti de l'anonymat par la bonne fée Fat Possum. Pas le blues épluche-carottes propre sur lui, non, celui des juke-joints du Sud, où il ne s'agissait que de faire danser toute la nuit, jusqu'à la transe, avant de reprendre le taf le lundi matin. Juste soutenu par un batteur tchac-poum, l'octogénaire enchaîne ses trois accords sans débander, avec d'infimes variations, comme un John Lee Hooker monomaniaque.

Et Heavy Trash, dans tout ça ? Well, par rapport à tous ceux qui les ont précédés, le groupe de Jon Spencer et Matt-Verta Ray ferait presque redoutablement pro. Ce qui ne manque pas d'ironie, si l'on se rappelle des débuts noisy-déconstructivistes de Jon dans Pussy Galore. Considéré initialement comme une récréation pour ses protagonistes, Heavy Trash, devenu leur groupe principal, est devenu bien plus que ça. Surtout pour cette tournée, accompagnant la sortie de son 3e album, Midnight Soul Serenade, durant laquelle le duo est complété par Sam Baker, batteur de Lambchop, et le semi-légendaire contrebassiste (et, dans d'autres circonstances, guitariste) Simon Chardiet. Plus Elvis 56 que jamais avec sa guitare acoustique, Jon Spencer laisse libre cours à ses accents de prêcheur roots, cravaché par la Gibson demi-caisse de Matt. Il y a beau y avoir des hoquets et de la reverb en pagaille, ce rockabilly-là n'a rien de puriste, tout électrocuté qu'il reste par la décharge punk, et n'hésitant pas à puiser dans des harmonies doo-wop, un twang country ou des mélodies câlines flottant entre les sucreries des teenage idols et les premiers hits innocents de ceux qui les balaieront, les Beatles. Soit une parfaite incarnation du rock'n'roll éternel.

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