A la fin des années 70, mon groupe favori n’était pas Clash, Television ou les Ramones, pas plus que les Buzzcocks ou les Sex Pistols. Pas même Blondie ni les Jam, même si j’étais évidemment fan de tout ce joli monde. Non, ceux pour qui j’aurais traversé un océan à la nage si on m’avait dit qu’ils m’attendaient au bout (pour citer le début du premier titre de leur premier album), c’était les Only Ones.
Dans le meilleur des cas, on se souvient d’eux grâce à “Another Girl, Another Planet”, leur presque hit et vrai classique de 1978. Une des plus électrisantes intros de l’histoire du rock, entre autres (et ne mentionnez pas Blink 182, ou je mords. Jusqu’au sang. Et baise Madame votre mère avec une batte de base-ball. Par derrière. Et pourtant, je suis un gentil garçon, poli et tout. Bref, commencez pas !). En surface, une chanson d’amour passionnée et romantique. Plutôt hors sujet en plein déferlement punk. Mais aussi une ode à l’héroïne, la vraie muse de Peter Perrett (non, pas celui du “Zizi”, merci), le leader de ce groupe improbable, et sa perte annoncée, bien sûr.
Réunion improbable d’un junkie baudelairien en manteau de fourrure, épris de Dylan mais chantant plutôt comme un Lou Reed cockney, d’un guitar-hero psychédélique ressemblant vaguement à un Eno nourri au grain, d’un bassiste Ecossais ayant connu une gloire purement locale durant les sixties, et de l’ex-batteur de Spooky Tooth, les Only Ones ont eu pour tort de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. En général (le style, l’époque, l’endroit). Et dans les détails.
Leurs rares fans parisiens ont ainsi été servis. Je ne sais pas qui avait eu la riche idée de les programmer, lors d’un festival sponsorisé par une radio périphérique, à la même affiche que Shakin’ Street et les abominables Trust (ils paraît qu’ils scandent désormais “Fra-ter-ni-té” au lieu de “An-ti-so-cial”). Mais il ou elle aurait mérité le même sort que celui réservé à Peter Perrett, au milieu de la deuxième chanson : une cannette pleine dans la tronche… Lors de leur dernier passage au Palace, ils étaient bien programmés en têtes d’affiche. Mais, cette fois, tout le public – bien new wave, bien tête à claques – était venu pour Edith Nylon, en première partie. Pour tout vous dire, quand ils sont montés sur scène, j’étais au dernier rang. Le second.
Inutile de préciser qu’ils se sont séparés dans une indifférence quasi générale, en 1982. Avant d’acquérir au fil des années un petit statut culte. Qui a même valu à Peter Perrett sa biographie, Homme Fatale (sic) de Nina Antonia. Un édifiant petit volume qui dépeint son sujet sans fard – ou la chronique d’un joli gâchis. Si seulement cette lie d’humanité avait eu la bonne idée d’écouter ses propres paroles dans “The Beast”…
Reste d’eux trois excellents albums (un premier sans titre, Even Serpents Shine, leur chef-d’œuvre au noir, et Baby’s Got A Gun, un petit cran en dessous) qui devraient être dignement réédités l’an prochain, recommandés aux amateurs de poésie vénéneuse et de guitare venimeuse, et de multiples live et compilations (dont certaines composées d’inédits, comme Remains) pour les fidèles. Et même l’espoir (enfin, la crainte) de les revoir en France, puisqu’ils se sont reformés en 2007. Et qu’ils réussissent à faire encore pire que les Stooges au niveau de l’album post-scriptum comme une verrue sur le nez de Poison Ivy (ça sied bien à Lemmy, en revanche).
En fait, je ne peux plus penser au leader des Only Ones sans me rappeler les mots de Carl Barat, qui l’avait côtoyé à l’époque des Libertines – Pete Doherty avait insisté pour qu’il réinterprète “Another Girl…” en leur compagnie – : « Tout ce qui l’intéressait, c’était de récupérer ses cinquante livres à la fin du concert pour s’acheter du crack. Tu as vu le Seigneur des Anneaux ? Eh bien, Peter Perrett, c’est Gollum. »
30 septembre 2008
Le seigneur des salauds
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