13 juin 2008

Révisionnisme

Ce coup-ci, ça y est, c’est officiel : je suis atteint par l’andropause. À moins que ce ne soit la crise des cinquante ans.

Symptômes : pendant quelques jours, j’ai été persuadé que, tout bien considéré, Tokio Hotel était la réincarnation des New York Dolls. Non, je plaisante. En fait, je n’avais plus envie d’écouter de la musique. Rien. Peanuts. Mauvais signe, ça. Surtout que je n’avais pas vraiment envie de grand-chose d’autre non plus, à part jouer à Mario Kart sur la Wii.

Et puis, c’est passé. Mais c’est peut-être pire. Au lieu d’écouter d’excellents disques actuels dûment estampillés tels par les autorités compétentes (Philippe Dumez, la Blogothèque, Pitchfork, Télérama, heu, là, je m’égare), et que j’aime vraiment, comme le Bon Iver, voilà que je me tourne vers un groupe unanimement méprisé. Et que j’y retourne.

Jusqu’ici, d’ailleurs, je n’avais jamais – ou presque – prêté la moindre attention aux, ahem, Moody Blues. Puisque c’est d’eux qu’il s’agit. Le presque, c’est juste parce que, à 13 ans, un des premiers albums que j’ai failli acquérir était A Question Of Balance (j’aimais bien “Melancholy Man” qui passait sur Europe 1, façon plaisir coupable, parce que même si je n’en étais qu’à mes premiers émois rock, j’étais bien conscient du côté cruchon et fadasse de l’œuvrette. Nul n’est parfait). Il fallait bien passer une commande par trimestre sur le catalogue France Loisirs qui venait de se lancer. Mais c’est Led Zeppelin III qui l’emporta. Avec une pochette simple toute pourrie. Et sa deuxième face acoustique que je n’aimais pas, alors, pour cause d’allergie primaire – soignée depuis, merci – à la guitare en bois.

Mais bon, je l’avais échappé belle. Comme l’année d’après, en Écosse, où j’ai failli acheter Colosseum Live, alléché par sa sensationnelle pochette intérieure antistatique et dépoussiérante. Non, je n’invente pas. Coup de bol, il n’y en avait plus d’exemplaire. Ce qui m’évita de me retrouver avec une sombre daubasse de prog-rock jazzy, brâmée par l’insupportable collectionneur d’insignes nazis Chris Farlowe, que même alors j’avais du mal à supporter (c’était plutôt leur saxo dégarni qui m’impressionnait, et que je verrai des années plus tard accompagner, avec le premier guitariste de Thin Lizzy, un Bo Diddley – RIP – en sous-pull, ses bagages s’étant égarés !). Pour qui suivrait encore après toutes ces digressions, c’est l’Untitled des Byrds (deux disques pour le prix d’un, yeah !) qui remplaça avantageusement le Colosseum. Et fit de moi un gaga des Oyseaux pour la vie.

Sinon, jusqu’au mois de mai, je n’avais entendu, forcément, que le dégoulinant “Nights In White Satin” (moins bien que “A Whiter Shade Of Pale”, catégorie pour-emballer-dans-les-boums-même-si-on-est-un-grand-timide), et son pendant long jeu Days Of Future Passed, affreuse meringue chantilly noyée dans des intermèdes mélasses philharmoniques façon (très mauvaise) comédie musicale, que se plaisait parfois à dégainer – en 77 ! – un pote pervers polymorphe.

Comme dirait Johnny s’attaquant au Hamlet du Barde qui ne lui avait pourtant rien fait, je ne sais pas trop ce qui m’a poussé à m’égarer sur ce terrain peu fait pour m’attirer. Un vague soupçon que, peut-être, les Moodys de la fin des années 60 relèveraient autant du psychédélisme anglais dit de nursery que du prog-rock. Soupçon plus qu’avéré…


Ride My See Saw (live on TV au... Kremlin-Bicêtre, 1969)

Formés, comme tout le monde, à l’école du R&B (au sens anglais sixties, blues Chess et soul), les Brummies, comme tout le monde, se sont engouffrés dans le créneau psyché, après un temps d’hésitation. Mais avec un sérieux peu commun. Et une propension à tomber dans tous les panneaux qui réclame une certaine abnégation pour passer outre les défauts criants qui leur valent une réputation critique désastreuse.

Oui, ils sont banals à pleurer – le premier des groupes anonymes. Leurs pochettes sont unanimement laides à faire avorter une couvée de singes. Ah, et elles emballent de préférence des concept-albums, moins prétentieux d’ailleurs que désespérement naïfs. Le pompon étant atteint par les poèmes - heureusement brefs - que s’entête à déclamer Graeme Edge. Des poèmes de batteur, tout juste - pas vraiment pires que ceux d’Hawkwind, pour être honnête, mais ce n’est pas une raison. Et puis, pas de leader évident ou de point focal sur scène, ce qui renforce leur côté anonyme. Tout le monde compose, joue et chante, à égalité. Mais sans qu’il soit évident de distinguer qui écrit quoi, si on ne lit pas les crédits. D’autant que le club des cinq partage un certain goût pour le romantisme cucul.

Seulement, voilà, le revers a une sacrée médaille. Le temps, au moins, d’In Search Of The Lost Chord, On The Threshold Of A Dream, et To Our Children’s Children’s Children, les Moody Blues ont su avoir les qualités de leurs défauts. (Jusqu’à un certain point. Rien que de lire les titres donne envie de rire et/ou de fuir, et rien ne peut justifier les pochettes.) Il est difficile de nier qu’ils aient compté parmi les mélodistes les plus inspirés d’une époque où les concurrents étaient les Zombies d’Odessey & Oracle ou les Kinks de Village Green Preservation Society, avec des arrangements touchant parfois au génie de Forever Changes, et des harmonies vocales transcendantes qui compensent largement le manque de caractère de chacun. De l’avantage d’avoir une multitude de songwriters baignant dans une saine émulation plutôt que cherchant à tirer la couverture à eux. Et, sans être individuellement des instrumentistes surdoués, ce qui évite heureusement tout le côté démonstration technique éreintant du prog, leur somme dépasse largement le total des individualités. Avec des mentions spéciales, toutefois, à Justin Hayward, guitariste capables d’envolées nerveuses inattendues, et à Mike Pinder, grand gourou du Mellotron, le clavier le plus caractériel qui soit.

Bon, pas question de s’emballer non plus. Mais dans la catégorie des groupes mineurs, les Moody Blues ont été carrément plaisants à l'oreille (ah, tous les zigouigouis en stéréo). Bien plus réguliers que les Move, par exemple, leurs très inégaux collègues de Birmingham en perpétuelle quête d’identité, pourtant régulièrement réévalués. Ou, dans un genre, assez similaire, le Pink Floyd post-barrettien, bien en peine de pouvoir s’aligner question songwriting.

Mine de rien, les gaillards ont écrit (sans s'en douter) la plus parfaite B.O. qu'on puisse rêver pour une pub de banque rétro-baba, quarante ans plus tard, ultime compliment ou insulte.

Reste qu’une fois affalé, les orteils en éventail et le sourire aux lèvres, dans l’édredon sonore moelleux, euphorisant et suprêmement confortable des Moodys, on en arriverait à trouver moins ridicule leurs concepts, et à atteindre l’“Om” mind...

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