J'ai beau avoir la larme facile, si on m'avait dit qu'un jour, je me retrouverais l'oeil embrumé et la gorge serrée à l'écoute d'une chanson sur les groupies (l'un des thèmes les plus rebattus et propices à toutes les horreurs du rock), j'aurais bien ri. Seulement voilà, Will Sheff n'est pas n'importe qui. Et Okkervil River, le groupe dont il est l'âme et seul membre constant depuis près de dix ans, une formation capable de miracles. La preuve avec "A Girl In Port", justement, et ses arrangements rebondissant de la guitare acoustique du Sheff à des crescendos nimbés du piano le plus élégant entendu depuis la disparition de Nicky Hopkins, d'une pedal steel à faire sangloter les pierres, d'un cornet évadé de "Forever Changes", et de frémissements de mandoline.
N'allez pas croire pour autant que The Stage Names, le nouvel opus des Austiniens (d'adoption, pour la plupart) respire la mélancolie. Après le sombre et oppressant Black Sheep Boy, c'est comme si le sextette avait éprouvé le besoin d'ouvrir les volets et les fenêtres et de laisser rentrer l'air du dehors. Et même de s'amuser, si, si.
Sheff et consorts éprouvent un plaisir aussi évident que contagieux à secouer les étiquettes (rock littéraire, alt-country...) qu'on a voulu leur coller. Si le sextette peut toujours plaire aux aficionados de Lambchop ou Tindersticks, il durcit le jeu, accélère volontiers le tempo et multiplie les clins d'œil (les cordes et les chœurs T. Rex de "You Can't Hold the Hand of a Rock and Roll Man", la rythmique Motown de "A Hand to Take Hold of the Scene", ou la citation appuyée de "Sloop John B" qui clôt "John Allyn Smith Sails" et l'album). "Plus Ones", exercice oulipien, cite dans son texte un maximum de chansons de rock comportant un nombre dans leur titre, de "96 Tears" à "Care of Cell 44", en leur ajoutant une unité et sans perdre le fil du désamour.
Autant de références qui n'ont rien de gratuit, puisque The Stage Names est une réflexion sur la condition de l'artiste (pas forcément rocker, la très tendre et velvetienne "Savannah Smiles" s'inspirant de l'actrice de porno, et "John Allyn Smith Sails" se plaçant dans la tête du poète beat au moment de son suicide), et ses rapports avec les fans.
Enfin, ça, c'est presque un bonus, tant la classe des mélodies, le pouvoir émotionnel de la voix étranglée de Sheff et la richesse - jamais ostentatoire - des arrangements suffisent à envoûter. Il y a des moments comme ça où un groupe qu'on aimait déjà beaucoup se transcende et sort un genre de disque parfait. Et c'est précisément ce qui arrive à Okkervil River.
The Stage Names (Jagjaguwar/Differ-Ant)
Photo ©Todd Wolfson/Jagjaguwar
http://www.okkervilriver.com (la discographie commentée par Will Sheff est un must, bourré d'humour autodépréciateur)
http://www.jagjaguwar.com/artist.php?name=okkervilriver
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
2 commentaires:
Je n'ai jamais "accroché" au son de ce groupe (qui m'a toujours paru un peu "mou du genou), mais cet album semble être une bonne introduction, non ?
Effectivement, et ils ont d'ailleurs éprouvé le désir de se rendre plus accessibles. Les échos scéniques que j'ai pu avoir sont également très favorables. Ce que je m'empresserai d'aller vérifier le 13/11 à la Cigale.
Enregistrer un commentaire