19 mars 2008

Le Clem Burke No Wave* (*© Thurston Moore)

Rechercher une photo potable de Bob Bert sur l'Interwebs (voir Sleeping with the TV On) a piqué ma curiosité. C'est que les portraits du batteur ne courent pas les autoroutes de l'information. Mais cette quête m'a permis de remplir les blancs dans un CV déjà pas précisément maigre. Et donné envie de braquer les projecteurs, pour une fois, sur ce héros de l'ombre. Qu'on aurait bien tort de prendre pour le Peter Best (vous savez, le batteur originel des Beatles, évincé à l'aube de leur gloire) de sa génération.

Bob Bert, donc, est surtout (mé)connu pour avoir été le deuxième tambour majeur de Sonic Youth, juste après Richard Edson (dont on garde le souvenir dans le Stranger Than Paradise de Jim Jarmusch, en compagnie de John Lurie), de 83 à 85. Brièvement évincé (pour l'essentiel de l'enregistrement de Confusion Is Sex, pas de chance) au profit de Jim Sclavunos (ex-Teenage Jesus & The Jerks, futur Cramps intérimaire, Bad Seeds, etc.), il est vite rappelé et tourne, tourne et tourne encore. Et tient les baguettes sur Bad Moon Rising. Qui contient notamment le décoiffant "Death Valley 69", évocation de la Manson family, sur lequel intervient Lydia Lunch.


Sonic Youth - Death Valley 69

Dans la vidéo, Bob Bert fait partie des victimes mutilées... comme son successeur Steve Shelley. En effet, lorsque Richard Kern shoote le clip, Bob, lassé des nuits sur la route à dormir sur des moquettes qui sentent la pisse de chat ou dans la camionnette (et dans une situation financière désastreuse), a déjà quitté Sonic Youth. Tout en restant en excellents termes avec eux.

Un choix pas très judicieux, puisque c'est justement à ce moment-là que son ex-groupe sort de l'anonymat.

Détail amusant, c'est parce que Thurston Moore, pour rigoler, déclare dans une interview que Bob a quitté SY pour monter son projet, Bewitched, avec Susanne Stasic, leur vendeuse de t-shirts, que Bob décide de le prendre au mot. Donnant ainsi naissance à un projet à temps partiel qui durera près d'une décennie, en touchant à tous les genres.

C'est que Bob Bert fait partie de ces activistes curieux qui ont toujours plusieurs fers au feu.

Et en parlant de feu, sa formation suivante s'y connaît, pour ce qui est de pratiquer la politique de la terre brûlée. Formé dans l'Etat du Rhode Island par deux étudiants en sémiologie en rupture de ban, Jon Spencer et Julia Cafritz, Pussy Galore se relocalise dare-dare à Washington, DC. Mais le gang doit vite fait quitter la capitale fédérale après avoir vomi son dégoût pour la très puritaine scène straight edge et son guru Ian MacKaye (Minor Threat, Fugazi). Et c'est en se relocalisant à New York, début 86, que le duo adopte Bob Bert comme batteur (plus, notamment, Neil Hagerty, futur Royal Trux), pour un lustre de garage-rock post-moderniste, bancal et noisy, assaisonné d'une saine dose de provoc. Au sein de Pussy Galore, qui déconstruit aussi bien l'intégralité de l'Exile On Main Street des Stones qu'Einstürzende Neubauten, Bob intègrera d'ailleurs dans son kit des plaques de métal et autres tuyaux.


Pussy Galore-Dick Johnson

Alors que le split de Pussy Galore, à la fin de la décennie, est précipité par des prises de bec entre Jon Spencer et Julia Cafritz, Bob Bert réussit encore une fois à ne se brouiller avec personne. Un signe qu'en plus d'être un sacré musicien, il est aussi un mec bien - vous pouvez insérer ici un parallèle avec Dave Grohl, si cela vous fait plaisir. Bob joue donc au sein des abrasifs Action Swingers avec Julia Cafritz (fameux pour leur chanson "Courtney Love"), en 91-92, tout en donnant un coup de main à l'occasion à Boss Hog, le groupe formé par Jon Spencer et Cristina Martinez (un temps membre de Pussy Galore, puis des Honeymoon Killers - pas les Belges - avec Jerry Teel).

Jerry Teel, justement, va ensuite se révéler un fidèle compagnon de route pour Bob, qui le rejoint au sein des Chrome Cranks, respectables pourvoyeurs de garage-rock bien graisseux, de 94 à 96. Après avoir participé à un retour des Action Swingers, en 1997, Bob retrouve Jerry Teel dans ce qui ressemble à un supergroupe d'obédience plutôt roots-country, les Knoxville Girls, qui durent jusque vers 2001. Outre le duo figurent dans le line-up Kid Congo Powers (Gun Club, Cramps, Bad Seeds, Congo Norvell, etc.) et Jack Martin (Congo Norvell, et sujet d'une chanson de Speedball Baby), excusez du peu. Mais, comme chacun sait, les supergroupes (même à tendance plutôt underground) ne connaissent que rarement le succès. Si les Knoxville Girls font exception à la règle, c'est uniquement sur le plan artistique, parce que pour le reste...

Pas grave. Si Bob Bert joue, c'est avant tout pour le plaisir de jouer. En tâchant de gagner à peu près sa vie, si possible, mais en aucun cas pour faire fortune. Comme en atteste la suite de de son parcours, plus obscure, mais pas nécessairement moins intéressante.

Depuis quelques années, Bob est ainsi membre d'Int'l Shades, combo psyché-atmosphérique qui peut faire penser à Can, avec Mark C (Live Skull, Spoiler) à la guitare et au chant, Tim Foljahn (Two Dollar Guitar, et collaborateur de Thurston Moore, Townes Van Zandt, Jad Fair, des Boredoms ou de Cat Power) à la basse et au chant, et Alexa Wilding aux synthés et au chant.

Il tient aussi les baguettes des Size Queens, où l'on remarque pas mal de suspects bien connus de nos services : Ron Ward au chant (Speedball Baby), Jack Martin à la guitare, Sean Maffuci à la guitare et à la basse (Kid Congo & The Pink Monkey Birds), et l'étonnant clarinettiste free Patrick Holmes. En 2006, ceux-ci se transforment en Five Dollar Priest, après que Martin et Maffuci soient respectivement remplacés par Norman Westberg, le guitariste des Swans, et son compère au sein des Heroine Sheiks, George Porfiris.


Five Dollar Priest-Decatur Street

Quelque part entre The Fall et le Père Ubu des débuts, Five Dollar Priest s'apprête à sortir un album sur l'excellent label basque Bang! Records, et participera au festival des Nuits Sonores à Lyon, le 9 mai prochain. A la même affiche que Tata Wasser, Mary Weiss (Shangri-Las), les Subsonics, Demon’s Claws et... Heavy Trash, le duo formé par Matt-Verta Ray (Speedball Baby) et Jon Spencer. Que l'on retrouve tous deux, avec Bob et toute la bande (Kid Congo, Jerry Teel, Cristina Martinez, Jack Martin, etc.) sur l'album The End Of The Earth de Rob K, sorti en 2004 chez Orange Recordings.

Comme quoi, décidément, le rock new-yorkais trashy-noisy-rootsy-expérimental est une grande famille.

Et qui pouvait être mieux qualifié pour en tenir l'album que Bob Bert ? Personne ! Pendant plusieurs années, son fanzine annuel, BB Gun, a précisément rempli cette mission, plein de précieuses interviews loin de la routine promo, de photos rares et intimistes et autres goodies.
S'il semble en stand-by, son site Web, lui, demeure accessible, et mérite plus qu'un détour. Outre un rapide survol sonore de la trajectoire de Bob, on y trouve aussi des photos rares, des messages téléphoniques de Jon Spencer ou Yoshimi (Boredoms, et muse des Flaming Lips), des extraits d'interviews où James Chance raconte ses confrontations physiques avec le public, ou encore les meilleures farces de Steve Albini (si, si).

Et même un témoignage de Richard Hell où il se confie à Bob Bert sur sa collaboration avec Tom Verlaine, dès les Neon Boys, histoire de boucler la boucle...

Excellente interview de Bob Bert sur le site de New York Night Train

Photo : Skeleton Boy (visitez donc son album Flicker, superbes galeries live des Beasts Of Bourbon, Workdogs, Lubricated Goats, Radio Birdman, Cramps, Suicide, Blues Explosion, et autres grands prêtres de l'électricité)

2 commentaires:

Pat Saperstein a dit…

I thought I was into some wierd music but you take the cake, Thierry.
Est-ce qu'on dit 'tu prends le gateau'?

Thierry Chatain a dit…

Patty, what is weird, huh? I'm mostly driven and obsessive (which leads me sometimes to write overlong, esoteric entries such as this). But I do enjoy simple rock'n'roll or roosty stuff. Oh, and you may say "tu décroches le pompon".