19 novembre 2007

Cadavre exquis


Si le propre du songwriter rock est d’étaler ses tripes sur la table, en prenant l’auditeur, ravi, comme confident (de ses tourments, de préférence, pour l’école romantique, ou de ses coups de sang et de colère contre cette trop injuste société, pour l’école enragée/engagée), il n’est pas interdit de chérir les francs-tireurs qui préfèrent mettre l’imagination au pouvoir.

Comme les Fiery Furnaces, au hasard. Hasard qui, justement, est un des grands moteurs du processus créatif, ainsi que l’explique Matt Friedberger dans un passionnant article du Village Voice, paru il y a quelques semaines. Très proche du surréalisme, il décrit de façon très précise comment il s’inspire de détails qui lui tombent sous le regard pour laisser vagabonder son imagination, sans se censurer, dans une forme d’écriture automatique, la mise en forme n’intervenant que bien plus tard – en prenant en compte ce qui pourrait être amusant à chanter pour Eleanor, notamment. Une méthode qui explique sa productivité – environ 300 chansons par an dont la plupart ne son jamais enregistrées –, mais aussi le côté “irrationnel” de bon nombre de leurs textes – par ailleurs très narratifs. Ce côté qui irrite bon nombre de gens, qui aiment pouvoir attribuer un sens précis aux paroles de chansons – comme David Lynch peut rendre chèvre les cartésiens.

A titre d’illustration, j’ai tenté – maladroitement et modestement, car certains double sens et jeux de mot sont impossibles à restituer – de traduire les quatre première chansons de Widow City, leur récent album. Ce qui correspond à la première face de la version vinyle, WC (les initiales amusent Matt) étant justement conçu comme un double album à l’ancienne, dont chaque face est structurée comme une mini-suite avec un morceau long et complexe en ouverture, suivi d’un enchaînement de trois chansons plus linéaires.


LE JURY D’ACCUSATION DE PHILADELPHIE
Il n’y a plus de faveurs à demander ;
Plus de pétitions à faire circuler ;
Tout est désormais entre les mains - tout est entre les mains
Du jury d’accusation de Philadelphie.
Pas possible de tomber sur des enfoirés plus corrompus.

Assurez-vous qu’ils aient bien enregistré mon testament.
Assurez-vous que maman ne regarde pas le journal.
On sait déjà – aucun suspense
Que le jury d’accusation de Philadelphie me passe le nœud coulant autour du cou.

Pas possible de tomber sur des enfoirés plus corrompus.


LES DUPLEX DES MORTS
Je suis descendue dans les duplex des morts
Où les volets sont tirés et les ombres closes,
A moins de connaître le mot magique
(Rarement prononcé mais souvent entendu.)
Mordez-vous les lèvres et tournez trois fois sur vous-même !

Pendant notre lune de miel,
Mon mari est resté assis,
Avec une lueur dans l’œil et un stylo dans la main gauche.
Il a écrit le mot magique sur le vernis.
(Rarement vu et jamais entendu.)
Il m’a fait taire puis s’est affaissé en arrière, profondément endormi.

Je me suis mise à bougonner, assise au soleil près du porte-parapluies.
J’ai eu toutes sortes d’exigences déraisonnables,
Je me suis couvert la tête et je me suis rendue à la piscine du bureau
Je me suis inclinée, déférente, une mule ressemelée
Et j’ai demandé aux émanations de chlore si elles avaient quelque chose à mentionner


MARI AUTOMATIQUE
Merci de demander.
Oui, c’est vrai, nous vous attendions.
Nous vous attendions.
Persuadez votre mari qu’il devrait rester à notre disposition aujourd’hui et notez tout ce que nous disons
Sur le nouvel assistant du bus de ramassage scolaire qui s’est fait moucharder, à laisser sept enfants endormis sur leur siège, dans une transe provoquée par la climatisation.

Alors je suis remontée dans notre chambre
Et j’ai dit à mon mari de s’asseoir sur la table basse
Et que ses paupières se faisaient lourdes
Et quand il s’est endormi j’ai remis le stylo dans sa main gauche.

Aux phases 8 et 31 les Quatre Facultés sont accomplies, mais les Principes sont nombreux.
L’année solaire, si on regarde, est comme l’évêque dans le ruisseau, selon ce livre
Ecrit par le nouvel assistant du bus de ramassage scolaire qui s’est fait moucharder, à laisser sept enfants endormis sur leur siège, dans une transe provoquée par la climatisation.

Et n’oubliez pas la carte imaginaire
Des Manifestations d’Assassinats
En possession du bureau des pompes funèbres
(Egalement connu sous le nom des Esthéticiens Cadavériques)
Son numéro de téléphone local répond autant qu’un clou de porte dans le menton d’une pauvre souris de sacristie.
Ou du moins c’est ce que prétend le thème astral de naissance que j’ai fait rapatrier du Mexique.
Il a été calculé par une commission spéciale d’entraîneurs de basketball navajos et de blondes.


EX-GOUROU
Une de ces blondes exerçait une certaine emprise sur moi.
Je me suis rendue à tous ses séminaires à proximité de l’aéroport, à l’Arbre Double.
Je lui même permis d’utiliser gratuitement l’hydravion de mon neveu aux Bahamas.
Mais elle n’est plus rien pour moi.
Je me le répète tous les jours :
Elle n’est plus rien pour moi.
Je me le répète chaque jour que Dieu fait,
Je suis tout à fait convaincue que j’ai échappé à son emprise.

J’ai brûlé tous mes vêtements au jus d’eucalyptus ;
J’ai arraché tous les planchers et repeint les tribunes couleur puce;
Et j’ai été jusqu’à sacrifier un deuxième serpent à Zeus,
Par conséquent elle n’est plus rien pour moi
Je me le répète tous les jours.
Elle n’est plus rien pour moi
Je me le répète chaque jour que Dieu fait,
Je suis toujours convaincue que j’ai échappé à son emprise.
Mais quand elle se morfond au clair de Lune sur sa mesa, au mois de mars
Explose-t-elle comme l’orage
Quand elle pense à ma trahison ?

Elle n’est plus rien pour moi.
Elle n’est plus rien pour moi.


Pour retrouver les paroles originales, rendez-vous sur le très distrayant site officiel du groupe.

2 commentaires:

Julien a dit…

Salut, tes billets sur les FF sont super (je suis arrive sur celui ci apres avoir lu celui sur le concert a la Maro). Les traductions sont egalement reussies, bravo. Je voulais te signaler (tu le sais suremenr deja) pour Ex-Guru, que "Double Tree" est une chaine d'hotels aux USA. Moins poetique que l'Arbre Double, certes...

Thierry Chatain a dit…

Merci, Julien. Et, non, je ne savais pas pour la chaîne d'hôtels, je suis totalement passé à côté de cette référence. Bien vu !